Peut-on penser la guerre ?

« Quelle connerie la guerre ! »  « La paix c’est bien ! La guerre c’est mal ! » 

Les Inaptes au travail David Olère

Dire des banalités sur la guerre est assez facile. Mais y penser vraiment, est-ce possible ? 
Il est de bon ton de l’opposer à la paix et de considérer que si la guerre est la pire des choses, la paix serait la meilleure. Ainsi donc, il faudrait vouloir la paix à tout prix. Mais peut-on vouloir la paix au prix de la dignité humaine ? Ne reproche-t-on pas, légitimement, au gouvernement de Vichy d’avoir voulu la paix au sacrifice de la vie et de la dignité d’une partie de l’humanité ? Quand, en 1938,  Chamberlain revient à Londres après avoir signé les accords de Munich qui abandonnent la Tchécoslovaquie à Hitler, Winston Churchill lui dira : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre ». Les collaborateurs ont choisi la paix à tout prix, et donc le déshonneur. Cela voudrait donc dire que la paix n’est pas toujours la meilleure des choses et que le prix à payer pour l’obtenir a des limites, celles de notre dignité. Mais alors, si la paix n’est pas la meilleure des choses, la guerre ne serait pas la pire des choses ?

Pourtant, si. La guerre semble toujours être la pire des choses. C’est d’ailleurs ce qui la rend impensable. Le pire n’est jamais pensable. C’est d’ailleurs peut-être aussi la raison pour laquelle on voit la guerre partout quand on a aucune idée de ce qu’elle est vraiment. On parle aussi bien de la guerre des sexes que de la guerre entre générations, de la guerre économique comme de la guerre psychologique… Mais la guerre c’est des bombardements, des cris, des morts, de l’injustice, de l’imprévisible permanent qui nourrit une peur constante, des familles qui perdent tout, qui quittent tout, c’est la faim, la soif, l’attente interminable, l’espoir impuissant, le chaos. 

Il n’y a pas de guerre propre. L’idée même d’une guerre chirurgicale qui soignerait le mal en ciblant ses attaques sans faire de dommages collatéraux n’existe pas en dehors de la propagande propre à toutes les guerres, dans tous les camps. Les armes, le renseignement, les soldats, resteront toujours imprécis, aléatoires et leur mise à l’épreuve en montre toujours les failles. L’état de guerre est un état de survie qui nous laisse croire qu’il n’y a pas de place pour deux vies ennemies, ce sera nous ou l’ennemi. Notre coexistence commune devient impensable. Alors il faut fuir, tuer ou être tué. Dans toutes les guerres le droit est supplanté par le fait et l’humanité par la bestialité. La guerre est bien la pire des choses.

Mais il y a des paix qui ne valent pas mieux que des guerres. A quoi bon vouloir la paix si elle se réduit au calme des cimetières ? A l’obéissance à une tyrannie ? Si la guerre est la pire des choses et la paix pas toujours la meilleure, c’est donc qu’elles ne s’opposent pas. Car la paix ce n’est pas le calme, l’absence de trouble, la tranquillité, la “positive attitude”, le bien-être, la joie ou encore la bienveillance. Cette vision individualiste de la paix, qui ne renvoie qu’à soi-même, de plus en plus confondue avec le bonheur, s’évapore illico aux premiers combats. D’ailleurs n’est-ce pas cette vision réductrice qui rend la guerre inéluctable, en laissant croire que ça n’arrivera pas ?

La paix c’est avant tout un pacte, une relation à l’autre, un dialogue. C’est avant tout conserver à l’autre son humanité, ne pas le réduire à l’état de fou, de pervers, de dégénéré, ne pas psychologiser son état pour éviter le rapport de force entre différents points de vues argumentés. C’est toujours facile de réduire l’autre à un état psychologique défaillant pour ne pas à avoir à faire face à sa propre responsabilité quand les rapports dégénèrent. En recherchant en permanence leur bien-être individuel, en se repliant sur elles-mêmes, nos sociétés ont oublié que la paix est un acte politique qui engage l’humanité tout entière. Si les actes individuels ne sont pas toujours inutiles, ils ne sont rien sans l’action collective portée par l’intérêt général humain. A ce titre, le retour de la guerre est toujours le moment où nous comprenons que le bien pour soi est inopérant face au pire. Et le pire est toujours impensable. Ressentir l’impensable au fond de soi,  craindre le pire, n’est-ce pas se permettre de construire les pactes qui pourraient le rendre improbable ? Se satisfaire de ce qui est, tant que le calme règne, n’est-ce pas toujours renoncer aux progrès de notre humanité ?