Chacun peut-il penser ce qu’il veut ?
Cette question peut nous sembler étrange puisqu’on nous demande de penser par nous-même pour y répondre. Cela sous-entendrait donc que la liberté de penser est un droit naturel, fondamental de l’être humain. On ne peut pas enlever à l’Homme sa liberté de penser. D’ailleurs, une loi pourrait-elle m’interdire de penser ? Le fait que la pensée soit naturelle chez l’homme n’est-il donc pas la preuve que nous sommes libres de penser ? Mais en même temps, si la pensée est une nécessité naturelle c’est aussi la preuve que chacun ne peut pas ne pas penser. Du coup, nous n’avons pas la maîtrise totale de notre pensée puisque nous pensons malgré nous. Il peut même nous arriver de penser à des choses auxquelles on préférerait ne pas penser. Si donc cette liberté est un droit, est-elle un fait réel ? En effet, pour penser, ne faut-il pas apprendre à penser ? Mais alors, cet apprentissage (par le langage, l’éducation, …) n’influence-t-il pas nos pensées ? Toute pensée n’est-elle pas alors dépendante des conditions de son apprentissage ? Comment savoir alors que nos pensées sont bien les nôtres et pas celles que notre éducation ou notre culture nous inculquent ? Ne serions-nous pas alors dans l’illusion de la liberté de penser ? Pour dépasser ce problème, ne faut-il pas distinguer la pensée indépendante de la pensée autonome ? Penser librement se réduit-il à penser ce que l’on veut, comme on veut, à penser n’importe quoi ? Ne faut-il pas distinguer penser par soi-même et ne penser que pour soi-même ? Ainsi, une pensée purement intérieure a-t-elle un sens ? Une pensée n’existe-t-elle pas que lorsqu’on l’exprime ? Ne faut-il pas soumettre sa pensée à l’épreuve des autres pensées pour qu’elle ait une valeur ? La liberté de penser n’aurait donc de sens qu’à travers la liberté d’expression ? Au final, ne devons-nous pas nous demander si la liberté de penser ne doit pas se construire sur des règles qui nous permettent de dépasser nos pensées individuelles pour atteindre une pensée universelle, accessible à tous ? En effet, désirer penser ce qui nous satisfait individuellement est-ce la même chose que trouver la volonté de penser librement ? La question de la liberté de penser serait donc soumise à la question de la valeur de nos pensées et donc essentiellement liée à la question de la valeur de la vérité qui en émerge.
Conscience de soi et connaissance de soi
Il nous semble toujours que nous sommes les mieux placés pour nous connaître nous-même. En effet, je suis le seul à passer chaque minute de ma vie avec moi-même et à avoir accès à mon intériorité et mes ressentis. Mais cette conscience de moi fait-elle une connaissance de moi ? Qui suis-je réellement ? Ne cherchons-nous pas en permanence à confirmer ce que nous croyons de nous à travers les autres ? Des parents ne sont-ils pas mieux placés pour connaître leurs enfants ? L’immédiateté nécessaire et permanente avec moi-même ne m’interdit-elle pas d’avoir de moi une connaissance légitime ? Puis-je à la fois être objet et sujet de la connaissance ? Combien de personnes nous désespèrent, tellement elles ont une idée d’elles-mêmes, loin de ce que les autres en ont ? Alors qu’est-ce que la conscience de soi ? En quoi serait-elle trompeuse ? Et pouvons-nous réellement nous connaître nous-mêmes ? Se connaître soi-même n’est-ce pas déjà une façon de modifier ce que nous sommes ? Et si la particularité du sujet conscient de lui-même était que sa singularité ne peut être connue ?
Epicure, médecin de l’âme ? (Lettre à Ménécée)
Les auteurs dont le nom a été popularisé dans le langage commun sont rares. Epicure est de ceux-là et nous définissons aujourd’hui les épicuriens comme des personnes qui recherchent le plaisir. Mais Epicure était pourtant loin du philosophe des plaisirs. Au contraire, sa philosophie est celle de la maîtrise stricte des plaisirs. Mais alors pourquoi avoir dénaturé sa philosophie ? Peut-être parce que Epicure, en son temps, était l’un des rares matérialistes à penser que tout n’est que matière et corps ? Peut-être parce qu’il place alors le bonheur dans le corps et son apaisement ? Médecin de l’âme, il est alors à la recherche de l’apaisement de la matière qui nous constitue. Et si tous nos maux venaient de nos illusions idéalistes ? En rupture avec son temps, Epicure est aujourd’hui un penseur du corps, de l’instant présent, de la jouissance simple des plaisirs à proximité. Se questionnant sur les désirs, la croyance religieuse, la mort, l’amitié, la prudence, dans sa Lettre à Ménécée Epicure nous donne une leçon de retour à la simplicité et à l’attention accrue du présent. Pourquoi espérer un ailleurs meilleur plus tard auquel il faudrait sacrifier un ici et maintenant ?
Rousseau penseur contemporain ? (Second Discours)
Le XXIème siècle a choisi de valoriser Voltaire parce que la facilité de sa pensée permettait de justifier l’essor de l’industrialisation. Le XXIème s’en est accommodé car cette pensée “libérale” a permis de justifier l’accroissement du marché et d’entériner que seul l’argent libère et permet d’être heureux. Rousseau et sa pensée ont alors été relégués au second plan et il a même parfois été accusé personnellement pour ridiculiser sa philosophie. Pourtant Rousseau n’était-il pas déjà écologiste, déjà communiste ? N’est-il pas le fondateur de la sociologie, de l’ethnologie, des sciences humaines ? N’est-il pas un visionnaire qui a déduit des théories que ces sciences et la réalité vont confirmer deux siècles plus tard ? Cette puissance intellectuelle, c’est peut-être dans son Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes que Rousseau l’exprime la plus clairement. L’inégalité entre les Hommes est-elle naturelle ou créée par les sociétés ? Et si c’est l’Homme lui-même qui les crée, sont-elles légitimes et nécessaires ? Si non, comment penser une société qui soit réellement au service de l’humanité ? Car à quoi bon vivre en société si ce n’est pas pour devenir plus humain ? Ces questions ne sont-elles pas celles que chaque personne citoyenne devrait se poser avant même de pouvoir revendiquer d’avoir des droits ?